L'amour est dans le prêt
Antinouvelle : texte de très mauvais goût – truffé de clichés scénaristiques ou stylistiques – qui sent mauvais des lieues à la ronde et qu’on ne touche même pas avec un bâton.
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« Chut !!! », entendit-on résonner au cœur de la salle de lecture.
La première fois que John Callaway vit Samantha Ruthford, elle se dressait avec grâce et assurance derrière son comptoir, les poings fermement fixés sur les hanches et les sourcils froncés. C’était sa manière à elle de rappeler à l’ordre les lecteurs lorsqu’ils envahissaient l’espace sonore de la bibliothèque à coups de rires et bavardages un peu poussifs.
Des bottes en cuir gainaient ses fines jambes de gazelle jusqu’à la base de son genou, une ceinture cintrait sa taille de guêpe et des perles dorées épousaient la ligne gracile de son cou mettant en valeur la blondeur bouclée de sa chatoyante chevelure. Immédiatement, il sut qu’elle était belle, même s’il n’en prit conscience que bien plus tard…
Pour l’heure, il était tout retiré en lui-même, de peur d’oublier la cote de rangement du livre qu’il cherchait. D’un pas décidé, il se faufila entre les rayonnages et arrivé au code Dewey 810 qui correspondait à la littérature anglaise et américaine, il promena son doigt sur le dos des livres qui étaient alignés les uns à côté des autres sur l’étagère. Après avoir lu une cinquantaine de titres qui ne correspondaient pas à celui qu’il cherchait depuis des années, il mit enfin la main sur l’ouvrage qu’il convoitait tant. Fasciné, il s’agenouilla, sortit précautionneusement le roman en intercalant son pouce et son index de part et d’autre de celui-ci, puis découvrit la couverture que Google Images lui avait déjà préalablement révélée la veille : un papillon de nuit aux reflets d’argent qui déployait somptueusement ses ailes au creux d’une nuit sombre. Aucun écrit n’apparaissait sur le revêtement cartonné de l’ouvrage, ce qui le rendait follement mystérieux. Ce n’est qu’en l’ouvrant que le titre, en lettres arrondies, était enfin révélé. On pouvait y lire : « Le papillon de nuit ».
Heureux, il se releva et se dirigea énergiquement vers le comptoir afin d’emprunter le roman qu’il tenait dans sa main. Il le fit glisser sur le bois verni en direction de l’employée et c’est ainsi, béatement transcendé par la joie de pouvoir très bientôt le lire, qu’il réalisa pour la première fois qu’elle avait la beauté d’une rose fraîchement éclose. La lèvre boudeuse, elle contemplait l’écran de son ordinateur sans toucher le clavier. De la main droite, elle maintenait en suspens sa paire de lunettes et en mordillait distraitement l’une des branches. De la main gauche, elle enroulait une mèche de cheveux dorée autour de son doigt effilé. Tout à son affaire, Samantha ne prêtait pas attention à John, captivée par ce qu’elle regardait.
« Hum ! », fit John, pour se faire remarquer. Surprise, elle se ressaisit en bombant le torse. Après avoir hâtivement replacé ses lunettes sur son nez, elle empoigna l’ouvrage et le scanna avec un appareil qui répandait aux alentours des rayons rouges aussi éblouissants que sa beauté. Il ne parvenait plus à détacher les yeux des siens qui papillonnaient bleument derrière ses petites lunettes rondes cerclées de fourrure.
– Pour quinze jours ?, demanda Samantha Ruthford.
– Plutôt un mois si c’est possible, répondit John Callaway.
– Très bien, dit Samantha. De ses mains fines, elle remua la souris sous sa main droite et saisit au clavier la date correspondant à la date du retour.
– Voilà, dit Samantha. Vous le recevez en prêt jusqu’au 2 janvier. Cela fera cinquante centimes.
John mit la main dans la poche de son pantalon, en retira son portefeuille, puis l’ouvrit. Il en préleva un billet de cinq euros.
– Je n’ai que cinq euros, fit-il remarquer à Samantha.
– Cela ne fait rien, sourit Samantha.
Elle tapota à son clavier, puis ouvrit un tiroir dans lequel elle recueillit la somme à lui remettre. Ensuite, elle s’inclina vers lui pour lui tendre quatre pièces d’un euro, une pièce de vingt centimes, deux pièces de dix centimes, ainsi que deux pièces de cinq centimes.
– Je suis désolée, dit Samantha. Je n’ai plus que des pièces de petites valeurs.
John s’empara de la monnaie et recompta : quatre pièces d’un euro, une pièce de vingt centimes, deux pièces de dix centimes, ainsi que deux pièces de cinq centimes. Cela faisait bien quatre euros cinquante, soit la somme qu’elle lui devait.
– Ne vous en faites pas, dit John à Samantha. Le compte est juste, c’est tout ce qui compte.
– Ça rime ! rit Samantha, amusée par l’intelligence de sa réplique.
– Oui, sourit John, dont les joues s’empourpraient devant le sourire éclatant de Samantha.
Il rouvrit son portefeuille, fit glisser la tirette de l’une de ses poches intérieures, glissa la monnaie dans le compartiment prévu à cet effet, glissa la tirette dans l’autre sens, referma le portefeuille et le rangea dans sa poche.
– Bon, j’y vais, dit John.
– Oui, s’attrista Samantha.
– Au revoir, dit John.
– Au revoir, répondit Samantha. Il fit demi-tour et alla à contre cœur vers la sortie. – Attendez ! L’arrêta soudain Samantha.
– Oui ? dit John en se retournant.
– Vous oubliez votre livre, rit-elle gaiement.
– Oh, vous avez raison ! dit-il en s’empourprant de plus belle.
Il prit le livre et songea que cet acte manqué était peut-être un signe du destin. Alors, fébrilement, il ajouta :
– Peut-être pourrions-nous nous revoir ?
– En dehors de la bibliothèque, vous voulez dire ? questionna Samantha qui rougissait à son tour.
– Oui, hésita John.
– …
– …
– C’est d’accord, dit Samantha.
– Parfait ! répondit John au comble du bonheur.
– Je m’appelle Samantha, dit Samantha.
– Moi, c’est John, dit John.
Il se serrèrent la main, et John pensa que sa peau à elle était douce comme la chair d’une pêche nouvellement cueillie. Entre eux, le temps semblait se suspendre et ils restèrent quelques secondes, les mains accrochées l’une à l’autre, à se regarder avec, dans les yeux, l’amour qui fleurissait soudain comme le bourgeon au printemps.
– Enchantée, dit Samantha.
– Moi de même, renchérit John.
– Êtes-vous libre demain soir ? demanda John.
– Attendez, je regarde, dit Samantha. Elle attrapa son sac, trifouilla à l’intérieur pour en extraire un agenda pailleté de rose au format A5, puis l’ouvrit et en tourna méthodiquement les pages, en mouillant son index avec sa petite langue rose.
– Va pour demain soir, s’exclama Samantha.
– Je suis ravi, dit John, qui l’était visiblement. C’est d’un pas léger qu’il fit volte-face pour rejoindre de nouveau la sortie.
– À demain, Samantha ! sourit John.
– À demain, cher John, répondit Samantha.
Lorsqu’il sortit, il faisait noir et il faisait froid. En contemplant la lune qui brillait comme un croissant, John Callaway songea alors à l’heure où il pourrait faire si tendrement l’amour à Samantha… Et soudain, devant ses yeux, une étoile filante scintilla.
FIN.